Table ronde : Problématique des risques dans la société et des risques industriels


Par Patrick Obertelli, membre de la CTI

La table ronde a  trait à deux registres, celui des risques pour la santé et sécurité physique et mentale, et celui des risques environnementaux et sociétaux. Il s’agit d’approfondir comment accompagner les futurs ingénieurs pour qu’ils soient conscients des enjeux et développent une posture proactive.

Trois responsables institutionnels experts en Santé Sécurité au Travail ou Développement Durable et  Responsabilité Sociétale ont été pressentis, pour poser des repères sur les risques  dans les entreprises et dans la société pour les vingt prochaines années, et donner leurs points de vue sur les compétences à développer chez les ingénieurs :

  • Marie-Françoise CHEVALLIER-LEGUYADER, qui a la riche expérience de 10 années, en qualité de Directrice, de l’Institut des Hautes Etudes en l’Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie (IHEST).
  • Stéphane PIMBERT, Directeur Général de l’Institut national de la Recherche sur la Sécurité (INRS)
  • Philippe MERLE, Chef du service des risques technologiques à la Direction Générale de la Prévention des Risques (DGPR), au Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer (MESR).

Stéphane PIMBERT  fait tout d’abord une brève présentation de l’INRS. Cet institut, qui a pour mission la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail, a été créé en 1947 sous l’égide de la Sécurité Sociale. C’est un organisme à gouvernance paritaire entre les partenaires sociaux. Il a quatre moyens d’action, les études et recherche, l’assistance, la formation et l’information. Dans ses attributions, l’INRS intervient à la demande dans l’accompagnement des écoles. Un référentiel Santé – sécurité au travail, nommé BES&ST, développé par le CNES&ST, est approprié par des écoles d’ingénieur (voir pièce attachée pour consulter ce référentiel).

Si dans les années 50, les risques professionnels étaient majoritairement liés à l’industrie et aux machines, ces risques ont évolué. L’industrie du pays a évolué vers le tertiaire et d’importants progrès ont été réalisés par les entreprises en matière de prévention sur le risque machine. Une grande partie de l’activité de l’INRS est maintenant orientée vers la prévention des risques chimiques, vers les risques psychosociaux (RPS), vers l’organisation du travail. Si les chutes de plain-pied restent une raison majeure d’accidents du travail, avec les chutes de hauteur, les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) constituent la principale cause de maladie professionnelle reconnue et le sujet des RPS a pris une importance réelle dans notre société.

Outre les compétences techniques, les compétences en management, mais également une connaissance des thématiques de santé au travail sont maintenant importantes.

L’INRS a mené en 2015 et 2016 une étude prospective sur « les modes de production en 2040 » et les conséquences en termes de santé au travail. De nouveaux types d’organisations apparaissent ou/et prennent de l’ampleur, avec une mutation du travail, « l’ubérisation », le travail collaboratif homme-robot,  la « platerformisation » des activités, etc… Des problématiques apparaissent de façon très spécifique dans certains secteurs, comme par exemple le constat du développement du nombre de  crises cardiaques dans le domaine de l’éolien.

L’INRS s’est penché avec plusieurs partenaires dont France Stratégie et l’ANSES sur ce sujet. Une synthèse de cette étude se trouve sur le site de l’INRS et en pièce attachée à cet article.

Stéphane PIMBERT met l’accent sur le développement de compétences relatives à ces problématiques du travail de demain. Plus généralement, il souligne l’importance du management et de la culture de prévention.

Philippe MERLE situe la problématique des risques à deux niveaux :

  • celle des petits risques pour l’environnement et la sécurité,
  • celle de la lutte contre les catastrophes. L’approche est alors totalement différente. Le nucléaire a été précurseur, avec le développement des concepts de lignes de défense, de redondance, de mesures de maîtrise des risques etc. . Puis a été développée la notion de système de gestion de la sécurité, suite à la prise de conscience de la nécessité d’une approche systémique.

Au 21° siècle, des problématiques nouvelles apparaissent.

Le premier ensemble est relatif à la fiabilité des données.  Sous l’effet du principe de précaution, on a cherché à les fiabiliser par des études.

Appartient également à cet ensemble une problématique émergente et déstabilisante : la fraude. Des données d’entrée sont falsifiées pour que ça « rentre dans les cases », qui changent la donne au final sur la probabilité du risque.

Le second ensemble concerne les failles dans l’approche systémique, dont les fondements furent remis en cause par l’accident de Fukushima. Lors de celui-ci, toutes les lignes de défense ont été simultanément enfoncées par l’inondation extrême (« effet falaise »). Le nucléaire a vite réagi, mais dans l’industrie classique les exploitants n’ont pas encore conceptualisé le problème.

Une autre problématique émergente et déstabilisante est la malveillance. Une compréhension globale du système peut conduire à comprendre comment faire défaillir plusieurs lignes de défense à la fois.

Dans les sociétés actuelles, l’ingénieur commence à douter. Un enjeu important se présente à lui. Il va devoir à la fois connaître les techniques, comprendre les phénomènes naturels potentiellement sources de catastrophes, et appréhender les systèmes complexes dont l’homme fait partie, et qui a un comportement par rapport aux risques.

Philippe MERLE identifie trois domaines supplémentaires dans lesquels les ingénieurs du futur ont à développer leurs compétences :

– la pédagogie : former, dialoguer

– l’éthique : intégrité, transparence

– l’humilité : savoir se remettre en question.

La présentation de Philippe MERLE est jointe à cet article.

Marie-Françoise CHEVALLIER-LEGUYADER précise tout d’abord que le risque est une construction sociale. Les représentations des risques, de ceux qui sont acceptables, comportent des dimensions culturelles. La perception des risques est évolutive dans le temps.

L’innovation engendre de l’incertitude. Les décalages entre les représentations et la réalité s’amplifient. Nous passons d’une société de maîtrise des risques à une société de gestion de l’incertitude. Les problématiques en jeu invitent à l’avenir à analyser les rapports entre les sciences technologiques et le droit.

La présentation de Marie-Françoise CHEVALLIER-LEGUYADER est jointe à cet article.

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